Atelier de potiers antique de l’Estagnola (Aspiran, Hérault)
Résultats des campagnes 2014 à 2016

Esta 1 vignetteLa fouille programmée/chantier école de l’Université Paul-Valéry Montpellier 3, qui a démarré à l’été 2014 dans l’emprise de l’atelier de potiers de l’Estagnola s’est poursuivie en 2016. L’équipe d’encadrement était constituée Stéphane Mauné (CNRS), Quentin Desbonnets, de Séverine Corbeel, Ivan González Tobar, Corinne Dubler, Jordan Latournerie et Mélanie Errera, doctorants et étudiants à Montpellier. La fouille a accueilli pendant quatre semaines, une vingtaine d’étudiants français et espagnols. Les relevés topographiques ont été assurés par Séverine Sanz (CNRS, UMR5140 « ASM »). L’opération a bénéficié du soutien financier du Ministère de la Culture, du CNRS, du LabEx Archimede, du Conseil Départemental de l’Hérault ainsi que de l’appui de la Mairie d’Aspiran. La logistique, en particulier pour la station de tamisage (Cécile Bourguet), a été assurée par le Club Archéologique de Montagnac-Pézenas. En mars 2016 a été organisée à Aspiran par S. Corbeel, F. Bigot et S. Mauné, une table-ronde franco-espagnole de deux jours consacrée à l’actualité des recherches sur les ateliers d’amphores de Gaule Narbonnaise et de Tarraconaise qui a permis de présenter en détail les résultats acquis en 2014 et 2015.

L’atelier de l’Estagnola se trouve sur la berge de la rive droite de l’Hérault (Fig. 1) et sa période d’activité couvre l’époque flavienne et le début du IIe s. ap. J.-C. Il appartient à une série d’officines contemporaines (Soumatre, Saint-Bézard, Marouch, Fabrègues, Mas de Fraysse) situées dans un proche périmètre et qui bénéficiaient pour la commercialisation de leurs productions, de la présence de la grande pénétrante terrestre Cessero/Luteva/Condatomagos/Segodunum et de ce fleuve côtier, ouvert sur la Méditerranée. L’Estagnola a produit des matériaux de construction mais surtout des amphores vinaires Gauloise 4 et 1 ainsi qu’un peu de céramique à pâte claire.  La fouille de cet atelier s’inscrit dans un programme de recherche développé depuis deux décennies, dans la moyenne vallée de l’Hérault, et qui concerne l’économie rurale antique au sens large.

Deux prospections géophysiques ont été réalisées en avril 2014 et en février 2015 par Vivien Mathé et Adrien Camus (UMR7266 LIENSs Université de La Rochelle/CNRS). Au total, la surface couverte lors de ces deux opérations atteint 5 ha et les résultats confirment que les prospections pédestres et les observations de surface avaient bien délimité le site. On verra cependant qu’un sondage excentré, réalisé à l’est de la zone fouillée en 2016 a confirmé la présence de structures antiques.

 

ESTA fig2 vignetteLa campagne 2016 avait pour objectif d’achever l’exploration de la zone des fours 3 et 4 comportant, outre ces unités de cuisson, un vaste secteur de remblais ainsi que des vestiges de bâtiments (Fig. 2). Il s’agissait aussi de compléter la riche moisson anthracologique réalisée en 2014/2015 et de fournir à Christophe Vaschalde (post-doc LabEx Archimede) et Sarah Ivorra (IR-CNRS, Institut des Sciences de l’Evolution de Montpellier UMR 5554), des lots de charbons de bois complémentaires destinés à alimenter la problématique de l’approvisionnement en combustible. Ces données sont exploitées dans le cadre du programme ARCHEAPOT du LabEx Archimede qui concerne les ateliers d’amphores fouillés de la moyenne vallée de l’Hérault et plus particulièrement la problématique des fours. Lire : https://archimede.cnrs.fr/index.php/actualites/484-l-estagnola-a-aspiran-herault

Les structures artisanales des années 70 ap. J.-C.

Nous décrivons les résultats de la fouille en partant de l’état le plus ancien, daté des années 70 ap. J.-C.

Au moment où les concepteurs de l’atelier décident de construire un grand four (FR3) de 130 m3 de capacité, ils font creuser à l’ouest de l’emplacement de celui-ci, quatre excavations pseudo circulaires et deux fosses plus profondes destinées au prélèvement du limon qui sera utilisé pour la production des adobes mises en œuvre dans l’architecture de cette unité de cuisson. Une partie de ce sédiment sert également de matière première à une construction sur solins de tuiles destinée à la protection de la fosse d’accès du FR3.

L’extrémité occidentale de cette fosse d’accès a été détruite par le creusement de la fosse d’accès du four 4 mais on a pu déterminer, grâce à la présence des deux fosses profondes mentionnées ci-dessus, que son emprise devait être tout juste inférieure à celle du four qu’elle desservait. De forme quadrangulaire, elle présente une profondeur moyenne restituée de 1,50 m pour une largeur atteignant 7 m. Sa longueur, dans l’axe du four 3 atteint 7,50/8 m ce qui permet d’estimer sa surface à environ 52/56 m2.

Sur ses côtés latéraux presque abrupts, au contact des façades droite et gauche du four, ont été aménagées deux petites cuves (SB1415 à droite et SB1425 à gauche) dont les parois sont constituées de tuiles entières. Nous ne savons pas encore interpréter ces dispositifs mais leur proximité avec la gueule du four interdit bien évidemment de les considérer comme des structures destinées au traitement de l’argile. Leur connexion avec le four 3 indique qu’elles étaient liées à la phase de cuisson des productions. L’ensemble de ces aménagements était couvert par une toiture à double pente, soutenu notamment par un mur bâti sur solin de tegulae et blocs de calcaires prolongé à chacune de ses extrémités, par un trou de poteau et bordant la paroi nord de la fosse d’accès FS1050.

Cette construction possédait une élévation en terre crue dont la base a été observée en coupe et se prolongeait quelques mètres à l’ouest de l’extrémité occidentale de la fosse 1050. A l’extérieur et tout le long de ce mur, un niveau de circulation linéaire de 2,50 m de large environ, a été observé. Le long du côté méridional de la fosse d’accès, la construction du four 4 puis de l’angle d’un bâtiment plus tardif (Phase 2b, voir infra) a entièrement fait disparaître le pendant de MR1356. La restitution de cette première construction permet de lui attribuer une largeur hors-œuvre de 7,50 m pour une longueur d’environ 10 m, soit 75 m2.

 

L’évolution de l’atelier dans les années 80 ap. J.-C. (Fig. 3)

ESTA fig3 vignetteLa phase 2 est matérialisée par l’édification d’un second four et d’un vaste bâtiment. Le four 4, rectangulaire à murets transversaux, est plus petit que le four 3 mais similaire du point de vue de son plan. Sa sole présente une surface de 15 m2 et la capacité de son laboratoire permet de le classer dans la catégorie des fours moyens.

Lors de la construction du four 4, un grand bâtiment de plan rectangulaire a également été édifié qui s’étend depuis la façade du four 3 jusqu’aux petites cuves 1214 et 1217 qu’il recouvre partiellement. Le long mur MR1212 limitant ce bâtiment au sud, est chaîné avec le piédroit droit de l’alandier du four 4 et possède son pendant du côté gauche.

Esta 4 vignette Le mur qui ceint le côté gauche du four 4 et son retour appartiennent également à cette seconde phase. Au nord, les travaux agricoles ont détruit la plus grande partie du mur parallèle à MR1212 dont ne subsiste que l’extrémité nord-est, MR1008, conservé sur 7 m. Enfin, le mur MR1094 a été édifié dans la fosse d’accès FS1050, dans l’axe longitudinal du bâtiment pour soutenir trois poteaux axiaux de la charpente du bâtiment. Il présente une mise en œuvre mixte, soignée, constituée de blocs de calcaire et de grés équarris et d’assises de réglages en fragments de tegulae. Il est équipé de trois « contreforts » inversés sur son côté nord qui constituent en fait des supports de poteaux pour la charpente (Fig. 4).

 

Sa construction a entrainé un rétrécissement de l’espace de travail de près d’un tiers dans la largeur mais le four FR3 est toutefois resté en fonction au début de cette seconde phase. La raison d’être de ce mur était nous l’avons dit de soutenir la poutre faîtière de la toiture du long bâtiment qui se déploie en direction de l’ouest et qui comprend à son extrémité orientale et sud-orientale, les fours 3 et 4. Compte tenu de la surface importante à couvrir, un mur de soutènement intermédiaire était indispensable et il fallait rattraper la profondeur de la fosse 1050. MR1094, d’une longueur de 7,80 m, est ainsi situé à égale distance des gouttereaux nord et sud, soit un entraxe de 5,20 m environ. Tel qu’il se présente, ce grand hangar présente une largeur hors œuvre de 11 m et une longueur d’au moins 28 m — qui est la longueur de MR1212 qui limite la construction au sud — ce qui met à disposition des artisans, une surface utile de 308 m2 environ, fosse d’accès aux fours comprise. Avec la construction de ce mur, les deux cuves en tuiles installées à droite et à gauche de la gueule du FR3 sont abandonnées et détruites en partie. L’espace au nord de MR1094 a livré en 2015, un dépôt de 33 imbrices complètes et utilisables, initialement posées à la verticale, de façon organisé, au-dessus des derniers niveaux de comblement de CV1425. Il est probable que nous nous trouvions en présence de tuiles non utilisées, liées à la construction de la toiture du grand bâtiment. Ce dépôt est ensuite recouvert de remblais et de déchets de production de l’atelier sur une hauteur de 1 m, le mur en terre sur solin de tuiles et pierres de la première phase est abattu et sur ces niveaux s’établit un probable niveau de circulation détruit par les travaux agricoles et qui s’étend sur toute la surface (ESP103) située entre MR1094 et MR1008, soit environ 50 m2. L’accès à la fosse des fours 3 et 4 se fait de trois façons : soit en empruntant un petit escalier sud situé à proximité de la gueule du four 3, soit, depuis l’espace 103, par le passage de 2 m situé entre l’extrémité ouest du mur 1094 et le mur de refend 1358, soit enfin, depuis l’espace 101, c’est-à-dire la partie occidentale du grand bâtiment, en passant entre le mur de refend 1358/1126 où existait une interruption de 2,50 m de large. La fouille de 2015 avait permis de démontrer que les fours 3 et 4 avaient fonctionné ensemble. Cependant, le four 3 est abandonné avant le four 4, comme les résultats des prospections magnétiques l’indiquaient et comme le confirme la stratigraphie relevée dans le comblement stratifié de la fosse 1050.

Dans un second état de la phase 2 (phase 2b), des modifications sont apportées à l’angle sud-est de la fosse d’accès des fours en raison de la construction du bâtiment sud dont l’extrémité occidentale vient s’appuyer dans l’angle formé par les fours 3 et 4. Il est matérialisé par une maçonnerie en L intégrant un bloc en grand appareil, calé contre le côté oriental du four 4, ainsi que par un solin de tuiles qui limite une petite pièce intégrant une banquette et peut-être un foyer. Nous pensons que ce dispositif est postérieur à la construction du four 4 et du grand bâtiment et qu’il est mis en place à l’extrême fin du Ier s. ou au début du IIe s., après l’abandon définitif du four 3 puisque les remblais sur lesquels il est établi condamnent un escalier d’accès à celui-ci ainsi que l’une des cuves en tuiles précédemment mentionnées. Il est possible que cette construction corresponde en fait à l’extrémité occidentale d’un long bâtiment dont le mur gouttereau nord s’appuyait contre le côté méridional du four 3. La présence de ce dispositif implique que les bâtiments actuels voisins recouvrent des vestiges antiques, ce que nous a implicitement confirmé le propriétaire actuel qui a observé lors de l’installation de sa fosse sceptique, la destruction de niveaux antiques riches en fragments de tuiles.

 

L’abandon de l’atelier

Dans les années 110/120, l’atelier, du moins ce que nous en connaissons, est abandonné et les bâtiments et élévations des fours 3 et 4, finissent par s’effondrer, en grande partie dans la fosse d’accès 1050, après un laps de temps impossible à préciser. Nous avons déjà été extrêmement affirmatif sur la chronologie de cet abandon et la prise en compte de l’ensemble du mobilier céramique mis au jour en 2016 nous conforte dans cette opinion. Il n’y a aucun élément postérieur à la décennie 120 ap. J.-C., comme la céramique Brune Orangée Biterroise qui apparaît à ce moment-là sur les tables et dans les batteries de cuisine. Par ailleurs, la morphologie des pots à cuire, marquée par la présence de lèvres à méplat relevé et l’absence totale de bord rectangulaire et de col souligné d’une baguette, plaident également en faveur de cette chronologie. Enfin, nous avons noté l’absence, dans le cortège des 160 vases en sigillée sud-gauloise mis au jour depuis 2014, de la forme Hermet 90.5 qui est un bon marqueur des second et troisième quarts du IIe s. ap. J.-C., bien diffusé dans la moyenne vallée de l’Héraut.

À la fin de la campagne 2016, un sondage réalisé par J. Latournerie sur la bordure occidentale de la parcelle 42, à l’emplacement d’une tache repérée en prospection pédestre et sur laquelle la prospection magnétique effectuée en 2015, n’avait rien révélé de probant, a permis de mettre au jour, sous environ 15 cm de terre, un segment de mur de 80 cm de large.

Celui-ci intègre un bloc en grand appareil en calcaire coquillier et un probable solin de tuile destiné à supporter une élévation en terre. Ces éléments pourraient constituer l’extrémité occidentale d’un bâtiment ou d’un groupe de bâtiments, appuyé contre la terrasse sur laquelle sont établis les constructions actuelles de la propriété Wittmann ainsi que les fours 3 et 4. En surface, la zone de diffusion des fragments de tuiles et céramique antique s’étend sur environ 600/800 m2 et correspond à l’emprise d’un prélèvement de terre superficiel (30 cm d’ép.), réalisé par le propriétaire de la parcelle S. Wendling, il y a une dizaine d’années et qui a en fait perturbé et « remonté » le niveau d’apparition des vestiges antiques. Il est donc possible que les structures antiques s’étendent en fait sur une surface plus importante, à environ 35 à 50 cm en dessous du niveau actuel de circulation du pré occupant la parcelle. Les prospections magnétiques de 2015 avaient révélé des anomalies mais elles pouvaient être liées à la pollution engendrée par la présence de nombreux objets métalliques visibles en surface (en particulier une clôture métallique) si bien que A. Camus et V. Mathé étaient restés très prudents et avaient préféré ne pas interpréter ces signaux positifs. En définitive, il est possible que les vestiges mis au jour sur la terrasse inférieure appartiennent, à minima, à une construction parallèle au lit du fleuve Hérault, distant de seulement 50 m et dont il serait intéressant de déterminer la nature, la fonction et la chronologie. C’est en tout cas ce que suggère la répartition des anomalies observées en 2015, revue par V. Mathé et qui semble montrer la présence de murs sur une longueur de 35 m et sur une largeur de 8 à 10 m, associés à d’éventuels foyers.

Cette construction qui pourrait donc couvrir 350 m2, a-t-elle un lien avec l’atelier de potiers qui se trouve à 60 m au nord-ouest ? S’agit-il d’un bâtiment en relation avec l’exportation des productions de l’Estagnola (entrepôt ?) ?

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Fouilles d'Aspiran